Elle se souvient de sa première "transe" – "Je n’étais pas endormie mais totalement engourdie, une expérience merveilleuse" –, des paroles du thérapeute sur ses peurs, ses difficultés à les exprimer, de la figure marquante de ce père inquiétant. Mais surtout, elle se rappelle les métaphores de lieux dans lesquelles elle s’est abandonnée : le ciel, le désert, une bulle de sérénité, là où la crainte de bafouiller n’existait plus.
Six mois plus tard et à raison d’une séance toutes les deux ou trois semaines, Anna a passé les oraux du Capes d’anglais sans bégayer ou presque. C’était l’an dernier :
"Mon débit verbal n’était pas complètement fluide, mais normal à 80%. Aujourd’hui je ne bégaie jamais devant mes élèves, parfois un peu devant leurs parents, ils peuvent m'impressionner."
Pendant cette conversation avec "l’Obs", Anna a parlé sans accroc, tout juste a-t-elle repris son souffle une ou deux fois. On aurait envie d'y croire... mais l’hypnose n’est pas de la magie. D’ailleurs, cette jeune prof a le sentiment d’avoir bataillé pour torpiller ce bégaiement qui la rendait muette.
Une seule certitude en revanche : si la transe hypnotique ne marche pas à tous les coups, ses résultats peuvent être bluffants. Tellement concluants parfois que tout le monde en parle. Après le yoga et la méditation, l’hypnose est devenue l’indication thérapeutique bien-être par excellence, le nouveau sujet de conversation des adultes en quête de thérapies alternatives. Les professionnels constatent "un véritable engouement pour la transe hypnotique". Patrick Bellet, président de la Confédération francophone d’hypnose et thérapies brèves (CFHTB), explique :
Elle a déjà fait ses preuves en médecine hospitalière ces dernières années – en accompagnement de l'anesthésie, pour diminuer l'anxiété préopératoire, ou dans le cadre de traitements antidouleur –, elle est aujourd’hui recommandée en psychothérapie pour lutter contre les phobies, les TOC, les addictions (tabac, nourriture), certaines formes d’anxiété et de stress."
Séance d'hypnose en live
L’hypnothérapeute serait-il le nouveau psy de ce siècle débutant ? "Au lieu d’en prendre pour des mois de consultations comme avec les psys en général, en hypnose on essaie de résoudre les problèmes en quelques séances", plaisante Jeanne, 45 ans, infirmière en formation d’hypnothérapie, qui consulte elle-même pour des crises d’hyperphagie compulsive.
Quand je suis sous pression, c’est-à-dire plusieurs fois par jour, je peux m’empiffrer de barres chocolatées. Depuis ma troisième séance, je me sens plus calme, je baffre moins, j’ai confiance."
Un samedi du mois de mars, dans le grand amphi de la faculté de médecine Pierre-et-Marie-Curie à Paris, Jeanne assiste en praticienne avec une centaine d’autres professionnels de santé (psychologues, psychiatres, médecins généralistes, urgentistes, sages-femmes) à une session de formation dans le cadre du diplôme universitaire d’hypnothérapie médicale dirigée par le Dr Jean-Marc Benhaiem, auteur d'un "Guide de l'hypnose".
Au programme ce jour-là : une séance d’hypnose en live et une discussion autour de cas cliniques présentés par les étudiants... Mais surtout, le cours a lieu en présence de François Roustang, 92 ans, LE maître français de l’hypnose, dont les sorties publiques sont devenues rarissimes. D’entrée de jeu, le philosophe et ex-psychanalyste annonce la couleur concernant sa pratique de l’hypnose ericksonienne :
Vous devez créer l’alliance thérapeutique avec le patient, sans enjeu, sans intention de réussir. L’essence même de l’hypnose est là, dans ce moment suspendu à deux où on n’est plus attentif à rien mais attentif à tout. Freud parlait 'd’attention également suspendue'."
Apprivoiser les souffrances du patient
Enigmatique, Roustang parle à la manière d’un vieux sorcier indien. De cette parole tantrique on comprendra qu’il n’est pas question pour le thérapeute de prendre le pouvoir sur le patient, mais au contraire de s’embarquer avec lui. Vers quoi ? Jean-Marc Benhaiem explique :
L’hypnose, c’est surtout une technique. Et beaucoup de pratique. Une séance commence par une induction, autrement dit par la mise en relaxation du patient, ce qui va lui permettre d’entrer en transe, en état de conscience modifié, ce moment où l’inconscient est plus accessible."
Là, par des métaphores, des mots sécurisants, le thérapeute va tenter d’apprivoiser les souffrances psychiques et les dépendances du patient. De les contourner et les reconfigurer.
Thierry, 48 ans, deux paquets de cigarettes par jour, a arrêté de fumer sous hypnose. Il se souvient de la fois où l’hypnothérapeute l’a amené, lors d’une séance, à la campagne, au bord d’une rivière dans la Drôme, il respirait à pleins poumons.
C’était dément, j’étais totalement ensuqué, les yeux clos, j’entendais la voix du thérapeute, je la suivais, je marchais au bord de cette rivière et j’avais ce sentiment physique de respirer de l’air frais, pour la première fois je respirais autre chose que la fumée de ma clope, comme s’il y avait une autre voie (respiratoire) possible."
Le chemin de l'incertitude
Entrer en transe consiste souvent à "fixer un point", "fermer les yeux" et se "laisser aller profondément". Mais pas toujours. La transe peut être plus légère, conversationnelle, le patient peut alors parler, bouger. Pleurer. "Parfois même il chante", raconte un psychologue qui a soigné un chanteur lyrique professionnel souffrant de maux de tête inexpliqués.
Je lui disais que son cerveau se vidait de ses ruminations et de ses migraines et qu’il n’y restait que des notes de musique et il s’est mis à chanter."
Dans l’amphi de la fac de médecine, Marie, 60 ans, est montée sur l’estrade pour sa deuxième séance d’hypnose : elle a accepté qu’elle se déroule en public devant les étudiants. Enfoncée dans son fauteuil, on dirait qu’elle dort, le corps abandonné, la mâchoire détendue, elle semble guidée par la voix lente de l’hypnothérapeute qui lui dit que son corps se libère, qu’il devient comme une coquille vide.
Depuis cinq ans, cette pédiatre se bat contre des douleurs neuropathiques "insupportables" qui se traduisent pour elle par des démangeaisons nocturnes intenses au niveau des bras et des jambes. "J’ai envisagé l’hypnose comme la dernière option thérapeutique, j'avais épuisé tout le reste", dit-elle. Après une troisième séance de transe, Marie s’est sentie "rassurée et calmée".
"En hypnose, la clé c’est d’oser, commente Jean-Marc Benhaiem. Il faut que le patient et le thérapeute acceptent, comme dans une collaboration ou un partenariat, de prendre ensemble le chemin de l’incertitude." Il n’est pas rare que les patients et leurs soignants ne sachent pas dire précisément ce qui s’est passé pendant une séance. Comme Julia, 50 ans, sous neuroleptiques, traitée pour un TOC : elle s’arrachait les cheveux depuis l’âge de 16 ans au point d'avoir d’énormes trous dans le cuir chevelu. Julia savait que son médecin généraliste suivait une formation en hypnothérapie, elle lui a demandé une séance et il a accepté. Le reste, ni l’un ni l’autre ne s’en souviennent précisément...
Un mois plus tard, Julia est revenue en consultation, elle avait arrêté le médicament et ses cheveux avaient commencé à repousser. "Vous avez libéré une extrême attention pour cette patiente, décrypte François Roustang en s’adressant au médecin. Peut-être que personne ne l’avait fait avant vous..."